vendredi 14 mars 2014

"É absurdo!"

Un seau. 
Puis deux, bientôt trois. 
Un groupe de seaux, qui se balance au bout des bras d'étudiants de mon université.  
Ils sont remplis d'affaires scolaires: trousses, cahiers et livres s'y mélangent. Nouvelle mode? Vu les (non)goûts vestimentaires des brésiliens, je peux m'attendre à tout... Manque de moyens pour acheter un sac décent? Vu le type de population de la PUC, cela m'étonnerait...
Mais alors, pourquoi ces étranges sacs?

Rien à voir, mais cette photo est bien trop drôle pour ne pas être publiée.. Pauline, Alex et moi avec nos déguisements recyclés, prêts pour le Carnaval! 

Je l'ai compris bien plus tard, en discutant avec l'une de ces "miss seau à main".
En fait, certains étudiants les utilisent pour déjouer les règles complètement absurdes pour rentrer à la bibliothèque de la fac, à savoir:
1. Avant de pouvoir s'installer, il faut d'abord faire la queue pour demander une clé et un cadenas à l'accueil. 
2. Cette clé permet de fermer le casier dans lequel on doit déposer notre sac, et tous les autres objets interdits à l'intérieur de la bibli, c'est-à-dire nourriture, pochette d'ordinateur portable (?), etc.. 
3. Ensuite, il faut passer un portique en passant notre carte sur le lecteur (l'exercice peut paraître banal mais se révèle bien plus périlleux quand il faut tenir en même temps en équilibre sous le bras restant trousse, cahiers, ordinateur et pull... J'ai bien dit pull, oui, même par 40°C dehors, histoire de supporter les -12°C á l'intérieur, causés par une climatisation infernale...) 
4. Et si, par malheur, il nous fallait utiliser un ordinateur, il faudra à nouveau faire la queue, passer la carte et attendre que l'on nous assigne à un poste, où l'on ne pourra rester qu'une heure, à moins de renouveler l'opération. 
Rien de plus facile, donc.
Et les seaux, dans tout ça? 
En fait, ils font figure de faille dans ce système, car n'étant pas refermables comme un sac, on ne peut pas y cacher de livres de la bibli, et les gardes, pouvant ainsi contrôler d'un coup d'oeil leur contenu les tolèrent. Ainsi, un porteur de seau ne doit pas passer par le même processus qu'un porteur de sac.

Rien à voir #2 (en même temps c'est dur de trouver de belles photos en lien avec cet article..) , photo prise à Ouro Preto, magnifique petite cité coloniale du Minas Gerais.  


Toute cette histoire révèle en fait le système à la brésilienne souvent complexe et absurde aux yeux européens habitués à plus de rapidité et d'efficacité. 
Alors qu'il suffirait chez nous d'une seule personne pour effectuer plusieurs tâches, ici, au moindre achat il faut d'abord faire la queue pour demander ce que l'on veut à une personne A en échange d'un ticket, puis donner ce ticket à une deuxième personne B, puis faire la queue et payer à C pour enfin récupérer notre commande à D. 
Les exemples ne manquent pas, et les brésiliens, habitués à ce manège interminable restent étonnement relativement patients (ici, couper les files d'attente comme adorent le faire les français constitue un crime hautement répréhensible..), ou s'adaptent, comme les étudiants aux seaux. Rarement ils ne haussent la voix ou cherchent une solution au problème.
Finalement, je me suis rendue compte qu'ici, c'est assez peu vu comme un problème: cela permet de donner du travail à énormément de monde. Quand au Brésil chaque tâche, plus infime soit-elle (appuyer sur le bouton de l'ascenseur, se garer, mettre ses courses dans un sac,..) est assignée à un employé, chez nous elles sont depuis longtemps automatisées ou incombe encore à chacun. 
Certes, ici le chômage est très faible, mais à quel prix? Est-ce mieux d'avoir un emploi, ou de devoir en accumuler plusieurs, même précaires, répétitifs, mal payés, peu qualifiés et peu gratifiants ou d'avoir le risque d'être au chômage mais pouvoir espérer un emploi plus stable, diverse et valorisant? Pour moi, la question se pose. 




Rien à voir #3: Celle là, c'est juste pour la frime. Photo d'une partie de la magnifique pousada à Lavras Novas où on s'est pris quelques jours de détente avec Alex après  la folie carnavalesque.

mardi 7 janvier 2014

Du sang Brésilien.

Aujourd'hui, je ne vous parlerai pas des émeutes parfois sanglantes qui ont ébranlé la ville et le pays depuis quelques mois, déclenchées par des brésiliens réunis en masse pour protester tantôt contre l'augmentation du prix des transports, contre les sommes astronomiques d'argent dépensées en vue de la Coupe du Monde, contre la faiblesse du système de santé, contre l'indifférence politique face aux questions environnementales, ou contre bien d'autres problèmes liés à la société brésilienne moderne. 
Ces protestations, aussi hétérogènes, légitimes et intéressantes soient-elles, ne sont pas l'objet de mon article.

Je voulais vous parler de sang, de mon sang. 

Depuis que je suis arrivée au Brésil, et d'ailleurs j'ai peut-être même eu la puce à l'oreille avant, je sens un attrait particulier pour ce pays, pour sa culture, ses racines africaines, au point de presque me demander si moi aussi je n'en aurais pas, des origines afro-brésiliennes. 

Bien sûr, j'entends vos rires moqueurs d'ici. Moi, dont les origines les plus exotiques viennent de la Flandre profonde (non en vrai il paraît que j'ai des ancêtres ayant vécu dans le coin de Bergerac, et même, si on remonte encore, jusqu'en Espagne..) et dont la couleur de la peau est bien plus proche de celle du cachet d'aspirine que du bois d'ébène (quoi que, incroyable mais vrai, j'ai quand même réussi à prendre quelques couleurs au bout de 5 mois de vie tropicale...), avec des racines noires?? 
Un retour aux fameuses sources africaines? Non, juste un bain d'argile au Morro de São Paulo, Bahia. 

Evidemment, cela tient bien plus de la symbolique que de la réalité. A une seule chose près: avec des parents ayant vécu trois ans en Haiti, qui sait si quelques poussières de ce sol, d'ailleurs si proche du sol brésilien à bien des niveaux, ne se seraient pas glissées dans mon ADN? (ou alors encore une histoire de facteur, faut que je demande à ma mère.. )

Art Naif, représentation d'un match Brésil-Haiti. Pas de score affiché, seulement une preuve de plus de l'entrelacement des cultures de ces deux pays
Bref, toujours est-il que l'héritage de cette culture me passionne, et je m'en rends de plus en plus compte, à travers le rythme des surdos jouant du samba-reggae, le goût de l'acarajé, du lait de coco et de l'huile de dendê, les mouvements de la Capoeira, la beauté du Jongo ou encore les légendes des Orixas et l'histoire du Candomblé.

Les fameuses "fitas", bracelets souvenirs de l'église do Bonfim de Salvador. La Bahia est l'Etat du Brésil où l'influence africaine est la plus présente.  



En me voyant m'intéresser autant à ces sujets, m'investir aussi bien dans de nombreuses répétitions de samba ou entraînements de capoeira, à manier la langue portugaise du Brésil avec de plus en plus de plaisir et d'aisance, des brésiliens m'ont plus d'une fois dit des phrases comme:
"Nossa, você é mais brasileira que eu!", "Você tem sangue brasileiro/africano, com certeza!", ou encore "Você fala muito bem português, tem que ficar aqui no Brasil!
("Waouh, tu es plus brésilienne que moi!", "C'est sûr que tu as du sang brésilien/africain", "Tu parles très bien portugais, tu devrais rester au Brésil!")

Pour moi évidemment, ce sont les plus beaux compliments que l'on puisse me faire, et cela récompense d'un côté les efforts d'intégration que je tente de faire depuis mon arrivée (car même si pour moi c'est tout sauf une corvée, cela reste à mon avis moins évident que de rester dans la bulle de la communauté d'étudiants étrangers anglophones ou joyeux expats' francophones...), et, d'un autre côté, me sert comme d'un engrais pour faire pousser la petite graine du "je veux rester" qui me pousse dangereusement dans la tête depuis quelques mois...



Je ne parlerai pas plus de cette folle idée maintenant, j'aimerais quand même bien que mes parents ne fassent pas tout de suite un arrêt cardiaque et puissent connaître 2014... D'ailleurs à ce propos, je vous souhaite une très belle année, et qu'elle soit pleine de réalisations de projets fous, de changements de vie, de plaisirs, d'amour, et d'énergie afro-brésilienne. 

Axé!



jeudi 7 novembre 2013

Axé Capoeira Senzala

Ça y est, je suis baptisée! 

Non pas d'une quelconque religion (non merci de ce côté là j'aurais d'ailleurs plutôt tendance à vouloir me débaptiser..), c'est bien de capoeira que je parle. 
Pour ceux qui ont encore des doutes, la capoeira, c'est un savoureux mélange entre danse et art martial aux racines africaines et débarqué au Brésil en même temps que les esclaves. Ces derniers avaient pris l'habitude de lutter entre eux de cette manière, en évitant de réellement porter les coup afin de détourner l'interdiction de se battre imposée par les maîtres. Après avoir subi la forte répression de cette époque, la capoeira s'est renforcée et s'est institutionnalisée après l'abolition de l'esclavage en 1888, notamment grâce à de grandes figures comme  Mestre Bimba et Mestre Pastinha. Le premier a contribué à la création de la branche Regional de la capoeira, avec un jeu rapide et acrobatique, le plus répandu en dehors du Brésil. Pastinha de son côté a popularisé la capoeira Angola, avec un rythme bien plus lent, joué principalement au sol et très technique. 



Le groupe auquel j'appartiens désormais s'appelle Senzala. Ce que j'aime bien avec eux, c'est que c'est un mélange des deux branches, avec un style bien particulier, assez artistique et théâtral. La Senzala, pour info, c'était le nom des anciennes maisons où vivaient les esclaves dans les fazendas (les grandes fermes), en opposition avec la Casa Grande, où vivaient les maîtres. 


Le batizado (baptême), c'est un moment important dans la vie d'un capoeiriste. C'est là où l'élève rentre officiellement dans la famille, où il doit jouer avec un Mestre qui doit le faire tomber symboliquement et où il change de corde. La première corde, c'est la blanche, que l'on troque, dans mon groupe, pour la jaune après le batizado. (C'est celle que j'ai héhé). Après, tout un tas d'autres cordes d'autres couleurs représentent les étapes d'évolution du niveau du capoeiriste, jusqu'à arriver à la rouge, le stade suprême: le Mestre. Comme vous l'avez vu, la capoeira est donc une discipline très hiérarchisée, où l'on voue quasiment un culte aux grands mestres fondateurs, et où l'on doit le respect aux plus hauts "gradés". 


Mon prof Ninho (à gauche au micro) et notre Mestre Deco à côté



Avant d'entrer dans la roda, avec mon amie Sara. Il faut s'agenouiller devant le mestre et attendre son approbation  pour pouvoir rentrer.


Vamos jogar! 


C'est aussi un sport extrêmement codifié, et il y a par exemple certains coups que l'on ne peut pas porter aux mestres... ça m'a d'ailleurs valu une mésaventure assez honteuse au moment de mon premier batizado (quand je faisais de la capoeira en France dans un autre groupe), je ne savais pas ce code, et j'ai eu la merveilleuse idée de lancer un martel (un coup de pied frontal, en gros) au mestre qui me baptisait.. Résultat: il m'a fait tomber, et à chaque fois que j'essayais de me remettre sur mes deux pieds, il me maintenait à terre.. Je sais donc maintenant (merci Pauline d'avoir éclairé ma lanterne) que je ne peux pas faire ça. 


C'est lui qui m'a baptisée. Cette fois, je ne suis pas tombée et je n'ai pas donné de gros coup de pied, mais ce negão s'est simplement assis sur moi au beau milieu du jeu... C'est ça le batizado!



Fini de jouer, il me remet ma corde jaune.








A galera da capoeira! 




On a aussi profité de l'occasion pour fêter les anniversaires du mois d'août, septembre et octobre (du coup j'ai re-fêté mes 20 ans avec encore plus de monde que la 1ère fois haha). Admirez le magnifique gâteau digne des plus grandes pâtisseries... (bon je crois qu'il y a réellement un filon en terme de pâtisserie FINE au Brésil,  je vais commencer à me renseigner!) 



Berimbau sous le bras (cet instrument assez improbable qui repose sur le petit doigt, c'est le symbole musical de la capoeira) ,  et c'est reparti pour l'entraînement.




mardi 15 octobre 2013

Não deixe o Samba morrer.



La musique au Brésil, c'est une institution nationale. Tout autant que la feijoada, la fesse dodue ou encore la cachaça, elle fait partie intégrante du quotidien des brésiliens. 

Evidemment, quand on pense à la musique brésilienne, on pense d'abord au samba. Et pour cause: à tout âge, toutes conditions sociales confondues (avec toutefois quelques particularismes..) et cela depuis des décennies, c'est le style de musique le plus apprécié des brésiliens, et qui représente surtout le mieux la société dans son ensemble. Il est né de la rencontre entre les trois peuples ayant formé la population brésilienne: les indiens, les esclaves noirs et les portugais.

Un des objectifs de mon année au Brésil, c'est de prolonger ma connaissance de ce genre métisse, que j'avais déjà pas mal commencé à appréhender à Paris. Entre la Batuka  (pour les non-initiés, c'est le groupe de percussions brésiliennes dont je faisais partie à Sciences Po), les nombreuses sorties samba de roda et pagode (type de samba plus lent, en plus petit comité et souvent joué autour d'une table) et même la capoeira, mêlant samba, danses et chants traditionnels comme le maculelê, le jongo ou le côco, j'étais déjà plutôt bien imprégnée..!


Ici, j'ai donc rapidement cherché à m'intégrer à une bateria, et, un peu par hasard, j'ai finalement atterri à l'école de samba de Rocinha: os Acadêmicos da Rocinha. 

Pour contextualiser un peu, Rocinha, c'est la plus grande favela du Brésil. Elle compte au moins 150 000 habitants, mais les chiffres peuvent varier pour aller jusqu'à 500 000 (!). Dans tous les cas, il s'agit vraiment d'une ville dans la ville, où on peut trouver absolument tout ce que l'on recherche. Evidemment, elle a aussi été le théâtre de nombreux affronts entre trafiquants de drogue et a connu une violence générale assez extrême. Aujourd'hui, l'Etat a repris ses droits sur ce territoire, en y implantant une UPP (Unité de Police Pacificatrice) en 2011, mais c'est un processus de très longue durée, qui n'est bien sûr pas encore abouti. 
Dans ce contexte, l'école de samba est un moyen de faciliter la cohésion sociale, et de créer du lien entre les habitants, autour d'un fort esprit de communauté. (c'était la minute Sciences Po).




 J'ai donc eu la chance de pouvoir intégrer cette très bonne école (elle fait aujourd'hui partie du groupe A, juste derrière le groupe spécial comportant les meilleures groupes de la ville comme Beija Flor, Tijuca, Salgueiro ou Mangueira), et j'y joue du chocalho! 


La Rainha (Reine de la bateria), mon chocalho, mon magnifique tee-shirt à l'effigie de la reine et moi!

J'ai des répétitions trois fois par semaine, et c'est vraiment intéressant de connaître un peu l'envers du décor, et toute la préparation qu'il y a en vue du Carnaval, qui paraît comme une simple fête pour les yeux extérieurs. Parce que si c'est effectivement un énorme évènement que tous les brésiliens attendent avec impatience, pour les écoles de samba, c'est bien plus que cela. Il s'agit d'une compétition acharnée entre les écoles de son groupe, à coup de déguisements, de chars, de danseuses, de joueurs, de thèmes les plus exubérants où chacun cherche à obtenir le saint graal: le sacre de Campeão (Champion). Le défilé final découle d'une série interminable de sélections: celui du thème du samba, puis l'élection du samba en lui-même après une compétition interne à chaque école, puis le choix de la Rainha, et enfin la présentation publique du Samba et de la Reine choisis. Avant la présentation publique, c'est assez impressionnant de voir la manière dont ils cherchent à garder le secret autour du samba de l'année, en ayant systématiquement je ne sais combien de personnes autour des répétitions qui veillent à ce que personne ne soit en train de filmer ou de prendre des photos, qu'il n'y ait aucune personne inconnue du groupe, etc. Maintenant que nous sommes entrés dans la phase de répétition intensive (alors qu'il reste quand même plus de 4 mois avant le carnaval...), les mestres et directeurs de batterie commencent déjà à nous mettre une pression pas possible pour qu'on soit assidus et fidèles au groupe, et nous rappellent constamment que l'on est observés sans cesse sur notre manière de jouer et de nous comporter. Il vont juger comme ça si on est apte à défiler ou non. 

Pour vous donner une idée de ce moment de folie assez indescriptible qu'est le Carnaval, voici le lien de la vidéo du défilé 2013 de Rocinha.

Pour compléter ma culture du samba (et, vous l'aurez compris, également parce que j'aime plutôt bien ça...), je fais aussi pas mal de sorties pour des concerts, des rodas de samba, des concours de batucadas étudiantes, des visites de grandes écoles comme Beija Flor, ... Bref,  j'en prends plein les yeux et les oreilles! 
Là, c'était pour mes 20 ans, des amis sont venus jouer à la maison, c'était top! 

Concert de Monobloco, une tuerie également



La Rateria lors de la Balatucada, rencontre inter-batucadas étudiantes.

Je pense que je ne suis donc décidément pas prête  à laisser s'éteindre le samba... 


La minute telenovela: Dans le prochain épisode, Lorena enquêtera pour savoir quelle mouche tropicale l'a piquée dans son berceau pour qu'elle ait autant cette folie du Brésil...






mardi 24 septembre 2013

Variations Solaires


Il y a des choses dans la vie dont on ne peut pas se lasser. Parmi elles, je pense que la vue depuis mon nouveau chez-moi en fait partie. 
Florilège des jeux de lune et de soleil, depuis la terrasse de Vidigal. 


Lever de Lune...


Coucher de lune, quelques heures plus tard..

 Et lever de soleil sur la Cidade Maravilhosa..










Que la journée commence. 


De l'exotisme du quotidien; ou comment une pomme se transforme en mangue.

EXOTISME.
Ce doux mot, à la simple évocation,  fait voyager le rêveur sur une plage de sable fin  bordée de cocotiers, sentir les effluves de citron vert et de poisson grillé, et entendre au loin des rythmes de percussions endiablées...
("coup de pouce en douce, je deviens poète"...)
J'ai désormais la chance que cet exotisme soit devenu mon quotidien. Presque deux mois que je suis installée sur mon rocher brésilien, et je commence maintenant à appréhender ma nouvelle routine. 
Traversée de l'Atlantique, cap au Sud, et voilà que la pomme se transforme en mangue (et ceux qui connaissent ma passion pour ce fruit, quasiment équivalente à ma folie pour les macarons, sauront que ce n'est pas pour me déplaire..). 
En dehors de ça, voilà donc trois exemples de ce à quoi ressemble ma vie num país tropical:

La première chose qui dépayse, c'est évidemment la faune et la flore. Je ne passe presque pas un jour sans découvrir un animal bizarre, un fruit biscornu ou une plante surprenante. Au cours d'une journée (flash spécial telenovela: vous connaîtrez très prochainement une journée type dans la vie de Lorena, remplie de cours, samba, capoeira...), ça peut donner quelque chose comme: je me lève avec la vue sur la baie, et au premier plan, le manguier, le citronnier et les bananiers du "jardin". Là, les petits singes débarquent et réclament un morceau de la goyave que je suis en train de manger. 

La vue depuis ma nouvelle chambre..

Puis je vais en cours, je descends la favela entourée de chiens, chats, coqs, mais aussi mes amis les cafards et autres réjouissances de ce genre.. (je suis d'ailleurs en constante progression à ce niveau là, maintenant je peux voir une araignée et m'y approcher, certes à un ou deux bons mètres, sans hurler ni courir dans le sens opposé.. no comment). J'arrive à la fac, qui est comme je le disais entourée d'arbres tropicaux verdoyants et traversée par une petite rivière. J'y ai même aperçu des singes et un animal trop bizarre qui ressemblait à un genre de tapir la dernière fois, tranquillement perché dans un arbre... 

Le deuxième exemple est plutôt lié au mode de vie des brésiliens, et des cariocas en particulier. Ici, rien n'est grave, et tout peut se régler d'une manière ou d'une autre, grâce à ce fameux jeitinho. Ce mot, intraduisible en français, fait référence à leur manière de tout pouvoir négocier, d'être capable de se sortir d'une situation inconfortable tout en y trouvant son intérêt grâce à leur légendaire tchatche. Loin du pessimisme et la froideur parisienne, le carioca est toujours à la recherche du mot pour rire, et préfère voir le verre à moitié plein en toute situation. Le revers de la médaille, c'est que bien souvent ils prennent tout à la légère, et cherchent par la même occasion à t'arnaquer.. Ils sont aussi assez flexibles, et pour le coup, savent faire preuve d'énormément de patience. Il existe par exemple des files d'attente pour absolument tout: à la banque, au restaurant, à la cafétéria, pour les toilettes, et jusque pour prendre l'ascenseur! Étonnamment, dans ces situations où tout bon français aurait déjà passé un bon quart d'heure à râler et à souffler bruyamment et cherché douze fois un moyen d'esquiver la règle, les brésiliens se plient à la contrainte de l'attente, et en profitent pour manger, lire, parler (fort) ou se comparer le tour de poitrine (véridique...) 
Une de mes dernières "aventures-quotidiennes" qui recoupe pas mal toutes ces tendances est arrivée il y a quelques jours, alors que j'étais dans le minivan pour aller à la répétition de l'école de samba de Rocinha (ouais en plus je fais du suspense, j'en parlerai plus longuement très prochainement!). On est donc tous installés dans le van passant entre Vidigal et Rocinha, sur cette fameuse Avenue Niemeyer, tortueuse et relativement étroite, sur le bord de la mer, quand d'un coup, on entend un gros bruit. Le van commence alors à brinquebaler de tous les côtés dans un vacarme assourdissant, jusqu'à ce que le chauffeur décide finalement de s'arrêter (d'ailleurs magnifique arrêt en plein milieu de la voie, après un virage et où les voitures déboulent à toute vitesse.. un parfait endroit pour mourir, quoi! Rassure toi maman, si j'ai pu écrire cet article, c'est qu'a priori tout s'est bien terminé..!). Là, tout le monde sort du bus, pour admirer la roue avant droite, quasiment totalement sortie de là où elle devrait normalement gentiment être accrochée. Dans l'indifférence la plus totale, les passagers sont donc montés dans le van suivant ayant pilé au dernier moment devant nous, avant de reprendre la route. Rien de plus normal..

Dernière anecdote: Je rentrais tranquillement des cours avec Julie, quand on s'est retrouvées sur la petite place en bas de Vidigal, où plein de gens étaient en train de s'affairer. Rideaux rouges délimitant une scène, chaises alignées, gros amplis, micros et musiciens en train d'accorder leurs instruments: parfait, ça ressemble pas mal à un concert! Quelques cuivres, des cordes, un clavier, c'est peut-être même du jazz.. Curieuses, on décide d'y rester. Tout le monde semblait bien apprêté (enfin je sais pas vraiment quel terme utiliser ici, car quand les brésiliens sortent, d'autant plus pour les femmes, et plus encore s'il s'agit de faveladas, on peut très bien remplacer "apprêté" par "super vulgaire"...), ou tout au moins on sentait qu'ils avaient essayé de faire des efforts pour cet évènement. Encore une fois les seules étrangères parmi cette scène de plus en plus bizarre, on commence à se poser des questions quand une vieille dame vient nous distribuer un tract "Jésus notre sauveur..blabla..rejoignez-nous..blabla.. Dieu est bon.. blabla.." . Ok, on a compris. Trop tard pour partir, le show commence avec un grand ALLÉLUIA. Tout le monde se lève et c'est parti pour cette sorte de messe/spectacle des membres de l'Assemblée de Dieu (un des nombreux mouvements religieux, pour ne pas dire secte, qui se développe de plus en plus ici). On reste un peu le temps de voir un groupe de jeunes s’époumoner sur un chant mi religieux - mi pop brésilienne super kitsh, et on s'éclipse en souriant.  

Décidément, je ne suis pas prête à regarder d'un oeil blasé les aventures qui composent mon quotidien, pour le moins encore bien exotique..! 

mercredi 28 août 2013

Vous avez dit "travail"?

Bon. Ayant eu quelques questions plus ou moins innocentes à propos de ma rentrée universitaire, de mes cours etc, (car oui, a priori je suis quand même là pour étudier..!), je vais quand même écrire un petit article à ce sujet. 
En vrai, il y a quand même des choses assez intéressantes à dire là dessus, ne serait-ce que pour montrer le monde qui sépare la manière d'enseigner á brasileira de celle à la française.

La faune et la flore de la PUC-Rio

Pour re-contextualiser un peu, j'ai donc été admise à la PUC-Rio (Université Pontificale Catholique, super funky!), une fac finalement pas si rétrograde et conservatrice que ça, et qui fait partie des meilleures du pays. La population étudiante y est composée d'un savoureux mélange de fis-à-papa habitant les ghettos de riches de la ville, payant des frais de scolarité exorbitants (autour de 1 000 euros par mois!), les étudiants boursiers exonérés de frais de scolarité, et les étudiants en échange, comme moi. La cohabitation entre ces trois groupes paraît assez intéressante à analyser; en (très) gros ça donne quelque chose comme: les premiers restent entre eux, les deuxièmes également et les troisièmes pareil. C'est un poil exagéré, mais pas tout à fait faux non plus: les plus riches sont concentrés dans certains départements comme l'économie, l'ingénierie, les plus pauvres dans les départements de sciences sociales, et les étudiants étrangers sont répartis un peu partout, mais ont tendance à rester en bande. Pour ma part, j'essaie encore une fois de ne pas rester qu'avec des étudiants en échange, et j'ai d'ailleurs décidé de ne pas parler un mot d'anglais de mon séjour. Quel dommage, ça me ferme plein de portes auprès des étudiants américains, qui font pourtant tant d'efforts pour parler une langue qui n'est pas la leur...! Bref, on verra si ce sentiment de cloisonnement des différents groupes d'étudiants me suivra tout au long de l'année, ou si finalement il existe des liens plus ou moins solides entre eux. 
Sinon, toujours dans le registre de la faune et de la flore de la PUC, j'ai eu la chance de tomber dans une fac où le campus est en plein milieu de la jungle, où l'on trouve toutes sortes d'arbres tropicaux entourant un petit ruisseau, et où les singes cohabitent avec les étudiants. Assez loin de l'atmosphère grise et guindée de Saint-Germain-des-Près, j'aime bien. Ce qui me dépayse moins par contre, -mais à mon grand bonheur- c'est qu'il existe ici aussi un système de distribution de fruits et légumes bio! Je troque alors les délicieux navets, choux, pommes, endives ou épinards de Patrick pour des produits non moins bons mais plus locaux comme des avocats, du gingembre, de la coriandre, des oranges ou encore des pousses de soja: miam!


Le campus de la PUC 

Un "cursus pluri-disciplinaire" 

Un des avantages de SciencesPo. (lisez "sciences po point", ça en fera sûrement rager une "aix-sciences po" de mon entourage...) c'est que, ayant un cursus académique très large durant les trois premières années, on peut choisir des cours dans quasiment tous les départements. Je peux aussi bien choisir des cours sur l'écologie, l'anthropologie, la géographie de Rio ou encore la culture brésilienne que des cours d'ingénierie mécanique, de mathématiques appliquées ou de physique quantique. J'imagine que vous vous doutez de quel genre de cours j'ai pris..
Pour l'instant, sur le fond, je n'apprends pas grand chose, les profs restent assez évasifs et les cours sont assez largement basés sur des lectures à faire chaque semaine. Pas l'effervescence intellectuelle donc, mais les profs rattrapent souvent ça par leur attitude très décontractée, qui va parfois jusqu'à la franche camaraderie avec les élèves. Par exemple, lors du premier cours de Cultura Brasileira du semestre, la prof, arrivée avec 20 minutes de retard, a fait la bise aux élèves, a fait des compliments sur la nouvelle coupe de cheveux de Teresa, s'est extasiée sur les nouvelles chaussures de Thiago, a commencé à nous parler de son mari, de ses gosses et de son chien, a accueilli avec entrain des élèves ayant débarqué avec 1h15 de retard, est partie s'acheter un café et un salgado, et a fini par parler à peu près 4minutes30 à propos du cours. Et tout le monde trouve ça normal. C'est vraiment une autre manière d'appréhender l'enseignement, mais au final, quand les profs se mettent à parler du cours, les élèves sont silencieux, attentifs et paraissent assez impliqués dans ce qui est dit. Quasiment aucun ne prend des notes sur un ordinateur, par exemple. 

Voilà donc à quoi ressemble pour l'instant ma vie d'étudiante carioca!

La minute telenovela: Dans le prochain épisode, Lorena décrira le lien qu'entretiennent les cariocas avec la musique, et plus particulièrement avec le samba. A-t-elle finalement réussi à intégrer une batucada?