vendredi 14 mars 2014

"É absurdo!"

Un seau. 
Puis deux, bientôt trois. 
Un groupe de seaux, qui se balance au bout des bras d'étudiants de mon université.  
Ils sont remplis d'affaires scolaires: trousses, cahiers et livres s'y mélangent. Nouvelle mode? Vu les (non)goûts vestimentaires des brésiliens, je peux m'attendre à tout... Manque de moyens pour acheter un sac décent? Vu le type de population de la PUC, cela m'étonnerait...
Mais alors, pourquoi ces étranges sacs?

Rien à voir, mais cette photo est bien trop drôle pour ne pas être publiée.. Pauline, Alex et moi avec nos déguisements recyclés, prêts pour le Carnaval! 

Je l'ai compris bien plus tard, en discutant avec l'une de ces "miss seau à main".
En fait, certains étudiants les utilisent pour déjouer les règles complètement absurdes pour rentrer à la bibliothèque de la fac, à savoir:
1. Avant de pouvoir s'installer, il faut d'abord faire la queue pour demander une clé et un cadenas à l'accueil. 
2. Cette clé permet de fermer le casier dans lequel on doit déposer notre sac, et tous les autres objets interdits à l'intérieur de la bibli, c'est-à-dire nourriture, pochette d'ordinateur portable (?), etc.. 
3. Ensuite, il faut passer un portique en passant notre carte sur le lecteur (l'exercice peut paraître banal mais se révèle bien plus périlleux quand il faut tenir en même temps en équilibre sous le bras restant trousse, cahiers, ordinateur et pull... J'ai bien dit pull, oui, même par 40°C dehors, histoire de supporter les -12°C á l'intérieur, causés par une climatisation infernale...) 
4. Et si, par malheur, il nous fallait utiliser un ordinateur, il faudra à nouveau faire la queue, passer la carte et attendre que l'on nous assigne à un poste, où l'on ne pourra rester qu'une heure, à moins de renouveler l'opération. 
Rien de plus facile, donc.
Et les seaux, dans tout ça? 
En fait, ils font figure de faille dans ce système, car n'étant pas refermables comme un sac, on ne peut pas y cacher de livres de la bibli, et les gardes, pouvant ainsi contrôler d'un coup d'oeil leur contenu les tolèrent. Ainsi, un porteur de seau ne doit pas passer par le même processus qu'un porteur de sac.

Rien à voir #2 (en même temps c'est dur de trouver de belles photos en lien avec cet article..) , photo prise à Ouro Preto, magnifique petite cité coloniale du Minas Gerais.  


Toute cette histoire révèle en fait le système à la brésilienne souvent complexe et absurde aux yeux européens habitués à plus de rapidité et d'efficacité. 
Alors qu'il suffirait chez nous d'une seule personne pour effectuer plusieurs tâches, ici, au moindre achat il faut d'abord faire la queue pour demander ce que l'on veut à une personne A en échange d'un ticket, puis donner ce ticket à une deuxième personne B, puis faire la queue et payer à C pour enfin récupérer notre commande à D. 
Les exemples ne manquent pas, et les brésiliens, habitués à ce manège interminable restent étonnement relativement patients (ici, couper les files d'attente comme adorent le faire les français constitue un crime hautement répréhensible..), ou s'adaptent, comme les étudiants aux seaux. Rarement ils ne haussent la voix ou cherchent une solution au problème.
Finalement, je me suis rendue compte qu'ici, c'est assez peu vu comme un problème: cela permet de donner du travail à énormément de monde. Quand au Brésil chaque tâche, plus infime soit-elle (appuyer sur le bouton de l'ascenseur, se garer, mettre ses courses dans un sac,..) est assignée à un employé, chez nous elles sont depuis longtemps automatisées ou incombe encore à chacun. 
Certes, ici le chômage est très faible, mais à quel prix? Est-ce mieux d'avoir un emploi, ou de devoir en accumuler plusieurs, même précaires, répétitifs, mal payés, peu qualifiés et peu gratifiants ou d'avoir le risque d'être au chômage mais pouvoir espérer un emploi plus stable, diverse et valorisant? Pour moi, la question se pose. 




Rien à voir #3: Celle là, c'est juste pour la frime. Photo d'une partie de la magnifique pousada à Lavras Novas où on s'est pris quelques jours de détente avec Alex après  la folie carnavalesque.